Marion Costero
Parfumeur indépendant, Marion Costero crée des parfums pour des marques, des histoires olfactives pour des moments de vie et des lieux d’exception à la recherche d’immersion sensible et de cohérence sensorielle. Elle a signé de nombreuses créations pour des marques prestigieuses en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique Latine.
Quelle est la vision que vous poursuivez à travers votre travail ?
Pour moi, le parfum transcende la simple présence d'un flacon sur une étagère. Comme la lampe d'un génie, la promesse d'une émotion, d'un souvenir, d'une appartenance se love dans ses volutes. Très tôt, dès l'enfance, j'ai été charmée par le pouvoir magique des odeurs. L'olfaction a le pouvoir de nous emmener ailleurs, tout près ou très loin, et de nous faire voyager dans le temps. Qui ne s’est jamais retourné dans la rue pour chercher un proche dont il a senti le parfum ? C’est pour cette raison que je suis devenu parfumeur, pour créer des univers olfactifs qui jalonnent nos histoires, marquent nos mémoires, rajoutent une dimension sensible, invisible mais si puissante à nos moments de vie.
Quelles racines culturelles ou historiques, ou quelles autres disciplines ou domaines de la société ont le plus influencé votre métier selon vous ?
Mon attirance pour le monde des odeurs s'enracine dans l'enfance, des Alpes de Haute Provence, où je passais mes étés, au Pays Basque, où j'ai grandi, en passant par la cuisine de ma mère. Se mêlent les lavandes sauvages, les orages parfumés, les plantes séchées sous l’auvent, la puissance de l'océan, le calme des montagnes, la fleur d'oranger dans la pâte à crêpes. Les odeurs sont omniprésentes et ma « collection » personnelle d’inspiration est en évolution constante. Je suis particulièrement sensible aux rencontres et aux petits moments de grâce : respirer l'odeur de baie rose de mes enfants, deviner un lilas en fleur en plein cœur de Paris, sentir un patio oasis en Andalousie, s'animer devant un ballet contemporain, se balader sur la plage sous la tempête, caresser une liane d’ayahuasca en Amazonie…
Quels sont les principaux changements que vous avez observés dans votre métier au fil du temps et les défis qui pourraient survenir dans les prochaines décennies ? Comment reflètent-ils les transformations sociétales et technologiques ?
Dans la parfumerie comme dans tous les domaines, les dernières années ont été marquées par de grands changements. Tout d’abord des changements de matières premières pour des raisons diverses comme l’innocuité, l’approvisionnement, les ressources, les changements climatiques. Cela nous fait prendre la mesure de notre monde et de ses limites, et favorise l'émergence de l'idée d'une parfumerie consciente, éthique et durable. L’autre changement important est l’avènement de l’IA. Outil fascinant et extrêmement utile mais ô combien ambivalent, redoutable même, s’il est cantonné à la reproduction ou à l'imitation de l'existant, au détriment de la créativité et de la vision des parfumeurs.
Y a-t-il un livre, un film ou une œuvre d’art qui selon vous capture parfaitement l’essence ou les dilemmes de votre métier ?
Les Nymphéas de Claude Monet capturent à la fois l'essence de mon métier et certains défis auxquels je suis confrontée. C'est une interprétation de la nature à travers les yeux de l'artiste, imprégnée de sa sensibilité, de ses références et tout le cheminement qu’il/elle a parcouru pour en arriver là. La sensation générale est empreinte des émotions que Monet ressentait au moment de les peindre, néanmoins chaque personne qui regarde les Nymphéas peut ressentir des choses très différentes. Quand je compose un parfum, je suis consciente de toutes les inspirations que j'y insuffle, mais chacun le perçoit de manière unique, selon ses propres références. C'est comme si chaque personne recevait une fragrance qui lui est propre. C’est ce qui fait la magie du parfum. Comme le peintre impressionniste, le parfumeur procède par juxtaposition de petites touches, perceptibles, libres pour mettre l’accent sur la sensation ressentie et l’expression instantanée des effets lumineux. Enfin, Claude Monet a consacré les 31 dernières années de sa vie aux Nymphéas, un voyage dans un jardin, une œuvre de vie. De même, certains thèmes nous passionnent, nous suivent, nous obsèdent, nous construisent.
Imaginons que vous puissiez créer une capsule qui voyagerait à travers l’univers et le temps, qu’aimeriez-vous mettre dedans ?
Dans ma capsule je mettrais des graines de plantes sauvages, l’odeur de la tempête sur l’océan, celle du printemps, les sablés à la pistache de ma mère, quelques livres, « Le cueilleur d’essence » de Dominique Roque, « Cyrano de Bergerac » de Edmond Rostand et l’intégrale de Joao Gilberto.